L’hybridité d’un va-nu-pieds
— publié dans : De la dérive (2020)
— auteur : Reuben Yemoh Odoi, musicien et militant, Maroc

Reuben Yemoh Odoi

bleu
disparition
eaux bleues profondes
liminalité
traces

Sans mobilité il n’y a pas de vie. Bouge ! C’est le signe des vivants, les battements du coeur, de haut en bas, doucement et rapide- ment, créent un élan vital. Qu’il soit dans une prison émotionnelle ou une intelligence émotionnelle, le blues est joué indifféremment, doucement et rapidement, dans un rythm and blues ou rythme et poésie. Les migrants ont voyagé et se sont perdus dans les limbes, à la recherche du mouvement du cœur, de l’esprit et de l’âme pour créer. Mystérieuse est l’expérience de ce chemin de vie.

Je récite la psalmodie d’un fou furieux perdu sur une drôle de route, je chante la psalmodie d’un captif, un va-nu-pied marchant dans le désert.

À minuit, quand vient l’heure de la course à l’enrichissement, je vis un bandit pris dans une violente tempête. Je pensais être arrivé aux montagnes du paradis, mais il m’a retrouvé. Sous un soleil brûlant en ciré de pluie, je navigue sur un océan de sable. Actuellement à l’Oriental venant de la côte ouest, je ne peux nager pour la ville du péché, même sans garde-côtes, je ne nagerais pas jusqu’à la ville du péché. Viens à mes pleurs, suis ma voix et bénis mon âme. Sauve ma destinée, suis ma voix et bénis mon âme. Sur ton chemin, grave ton nom sur la pierre, et laisse les voir ta lutte sur cette route.

Âme aux pieds nus dont la route désertique n’est qu’un lit de pierres, l’Alkebulan, l’homme de la Renaissance, cherche à s’accomplir dans une hybridité intellectuelle, artistique, sociale, physique et spirituelle, lui, le va-nu-pied des frontières.

Aux premiers stades de l’humanité, l’Homme a développé un certain type de comportement afin de fuir les animaux dangereux. Quand le politique met à profit sa connaissance du pouvoir dans la création d’un système institutionnalisé de contrôle social, il extrait la dernière goutte de résistance d’une population qui traverse alors barrières et frontières, l’œil du pouvoir lui colle l’étiquette d’immigrant et le réduit à nourrir sans cesse l’égo insatiable de la cupidité.

La nature hybride de certaines plantes et animaux préexiste à la science de l’homme et la migration. Son hybridité scientifiquement organique n’est pas un phénomène culturel contemporain, et est utilisée depuis les civilisations immémoriales sumériennes, égyptiennes, grecques et romaines jusqu’à nos jours.Par le biais du commerce et des conquêtes, les civilisations modernes et anciennes empruntent des idées, des philosophies et des sciences exogènes pour produire des arts, des cultures et des sociétés hybrides.

Mystique nomade, science des espèces, exode transfrontalier en temps réel, ne traversez pas une culture, ni calculez, ni grimpez, mon ombre n’a pas causé de mouvements migratoires ni n’a délocalisé de populations, ni n’a militarisé des frontières avec des installations radars, ni n’a installé des check points satellites sur des territoires isolés. Mur érigé contre notre liberté économique, le no man’s land est une frontière politique avec une surveillance rapprochée de nos imaginaires géographiques enracinés entre ciel et terre. La rupture progressive avec l’organique engendre une nouvelle génération et en fait évoluer la mentalité à notre avantage. Fais une série de tests, afin de voir si cela sied à tes désirs, testes la méthode de toutes les manières possibles car c’est la clé d’une bonne économie, et si elle connaît un quelconque signe de résistance à se soumettre à ton désir, n’hésite pas à la torturer afin d’en extraire la dernière goutte de résistance, mais fais attention de ne pas la tuer car tu gâcherais une bonne économie.

Protestation, austérité, migration de masse ont été provoquées par le matérialisme. Le luxe à profusion devient le but ultime de toute société qui veut vivre comme les rois et marchands des temps anciens. Incidents fidèlement retranscrits à partir d‘anecdotes véridiques et d’observations contemporaines fabriquant des personnages fictifs. Obsédés par la croissance économique, ils infligent un niveau de peine insoutenable dans la poursuite de celle-ci et à d’autres fins. Créer de la richesse, c’est s’accaparer et saisir les ressources naturelles. Avec l’avenir hors de portée, le pouvoir économique devient un pouvoir politique. La ruée vers le contrôle exclusif des terres et des savoir-faire indigènes est basée sur le pillage à travers l’espace et le temps. Les Sub-sahariens sont tous et toutes légitimes d’accéder à une grande partie des richesses naturelles, mais pourtant la plupart des enfants ne savent pas quel goût a le chocolat.

Les ressources servent à alimenter une autre croissance à laquelle ils n’auront jamais accès. Les matières premières et les biens circulent librement là où les humains des pays du tiers-monde ne peuvent aller. On continue d’améliorer la vie luxueuse des uns, tout en détruisant simultanément la prospérité des autres, ceux qui ne sont pas autorisés à atteindre les rives de la Méditerranée, ceux qui ne peuvent pas admirer les grands bâtiments et les belles infrastructures. L’Occident est un requin qui flotte dans l’espace, toujours à l’affût des bénéfices du grand ciel bleu ou des eaux bleues profondes. Le grand ciel bleu est l’oxygène, l’eau bleue profonde est l’oxygène.

Qu’est-ce qui a mal tourné dans les eaux d’encre cette nuit-là ? Le roi Jacob et l’équipage portugais tentaient un sauvetage, mais le blues s’est déplacé de l’autre côté du bateau de pêche surchargé, les ONG craignirent que le nombre de victimes n’augmente encore. Les femmes et les enfants à bord ; le blues du commerce transatlantique était légal pour Jésus, alors que l’immigration est illégale pour le système bancaire capitaliste. Ils ont passé plus de 30 jours dans une ferme près du port du grand bleu, avant d’embarquer, chacun des bleus a dû payer 500 à 1 000 dinars libyens pour un ticket sans retour vers l’esclavagisme.

Le système économique en place est incompatible avec l’existence de la vie sur terre ; il est temps que nous réalisions collectivement que les cieux sont en train de nous tomber sur la tête. La terre a besoin d’une approche durable pour survivre sans exploiter l’harmonie, la paix et la puissance de la nature.

En traversant le Rubicon jusqu’à Jamestown, Virginie, tu as besoin de 400 ans pour réclamer tes droits de naissance du pays auquel ils disent que tu appartiens. C’est aussi ton droit spirituel, de venir célébrer la résilience de tes ancêtres qui ont été dispersés et déplacés à travers le monde en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, en Europe et en Asie, par les grandes eaux bleues profondes.