Terre Liquide
— publié dans : De la dérive (2020)
— auteurs : Avalanche, architectes, France
— in : “ The Mediterranean in the middle of the sea ”, published in 2017 in Classeur Mare Nostrum

Avalanche (Anyoji Beltrando, KH Studio, TVK)

infrastructure

La mer est l’antithèse de la terre : aux reliefs, elle oppose l’horizontalité ; à la superficie, la profondeur ; au morcellement et à l’hétérogénéité, elle substitue la continuité ; à la finitude elle promet l’infini. De par le gigantisme des marchandises pouvant y être transportées, la mer jouit d’un  avantage comparatif décisif face aux modes de déplacement terrestres. La lenteur supposée de la marine ne pèse rien au regard de l’importance des quantités transportées.  C’est pour ses qualités innées que l’humain utilise aujourd’hui la mer comme la plus grande infrastructure mondiale, sur laquelle, tel le tapis roulant en boucle du restaurant de sushis, il dépose tout ce qu’il produit sur la terre. La terre produit, la mer distribue.  La normalisation et la standardisation des flux maritimes provoquent la perte de neutralité de la mer : indépendante, unifiée, codifiée, elle est devenue prescriptive. Les normes maritimes déterminent le fonctionnement du port et son aménagement qui se singularise voire se détache du domaine terrestre. Ainsi la mer, devenue un système autonome de valeurs et de références, impose son ordre à la terre et tend à influencer l’espace terrestre à mesure de sa prise de pouvoir dans le fonctionnement planétaire.Progressivement, des pans de territoires se dissocient du fonctionnement terrestre  pour entrer dans le domaine maritime.  La terre « devient liquide » : elle se désolidarise de la construction territoriale et des réseaux terrestres, en s’associant, ou en se dédiant, aux flux maritimes. Le contrôle de l’humain sur la mer recompose le monde en un espace archipélagique global : sur les eaux comme sur le continent, les établissements humains se comportent comme des corps autonomes, affranchis de la continuité terrestre et mis en relation par la connectivité absolue de la mer.