
À Marseille, l’exposition Out.of.the.blue.map faisait écho aux traversées informelles, aux récits et aux mouvements qui façonnent les territoires liminaux méditerranéens auxquels la ville est inévitablement liée. L’exposition a été imaginée et commissionnée par le collectif Calypso36*21, et accueillie par Coco Velten.
De la proposition curatoriale de Calypso36°21 a émergé un récit plurivoque et fragmentaire, permettant d’expérimenter de nouvelles façons de percevoir et de donner sens aux frontières. Les œuvres présentées convoquaient une multitude d’échos, et invitaient à naviguer entre les marges, les seuils et les angles morts des cartes établies.
En rassemblant les paroles informelles, invisibilisées par les fictions (post-)coloniales, Out.of.the.blue.map interroge les cartographies instituées du Maroc aux côtes européennes, et s’affranchit des narrations imposées. En envisageant la cartographie et ses langages comme outils de production et d’échange de savoir, le programme explore les lignes qui traversent ces espaces constamment négociés, leurs limes et leurs seuils. S’adressant aux habitant.e.s des espaces et rivages frontaliers méditerranéens, le projet sonde les parties inexplorées de ces paysages.
Oeuvres exposées
Diwana, Randa Maroufi (2018-2019)


Diwana (la douane) réunit un ensemble de plans montrant les trajets quotidiens dessinés par les travailleurs.euses contrebandier.ère.s de la ville de Ceuta. Chaque trajet, effectué plusieurs fois dans la semaine voire dans la journée, est dessiné sur papier par les porteur.euse.s de marchandises, puis traduit en tirages de type blueprint (littéralement « impression en bleu », obtenue par la cyanotypie). En choisissant ce procédé, Randa Maroufi confère une certaine noblesse et une valeur particulière à ces hommes et ces femmes que ceux.celles-ci ne connaissent guère dans le paysage de leur quotidien. La série Diwana permet de mettre en résonance les tracés du système urbain informel mis en place par les contrebandier.ère.s avec ceux, plus conventionnels, des architectes et des urbanistes. Les cyanotypes réunis dans la série Diwana constituent des cartes subjectives où les actrice.eur.s de la frontière figurent leurs trajets quotidiens, traduisant la volonté de l’artiste de donner une valeur matérielle et symbolique à ces pratiques de l’ombre.
« Diwana nous montre que l’analyse de ces apparatus étatiques est insuffisante pour rendre compte de la complexité d’un territoire et des contrôles qui y sont exercés. Son travail propose d’appréhender une réalité à partir des effets qu’elle produit. » [Marko Tocilovac]
Nabila & Keltoum, Randa Maroufi (2015)

« Trois femmes contrebandières représentées comme des stars de gangsta rap, d’habitude parties prenantes d’un système qui les oblige à franchir plusieurs fois par jour la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta, chargées de dizaines de kilos sur le dos. Ces femmes fières et puissantes reprennent possession de leur corps par la photographie. Le tirage sur tissu rappelle un drapeau, pièce d’étoffe servant d’emblème à une nation ou un groupe. Ici, l’étoffe serait le symbole de résistances individuelles, qui aujourd’hui dépassent les limites de l’enclave de Ceuta et font face aux regards des autres. » Randa Maroufi.
Yemaya, Saïd Afifi (2018)




Installation immersive en réalité virtuelle Said Afifi et Le Fresnoy-Studio national. Avec le soutien du LSIS laboratory/Laboratoire des Sciences de l’Information et des Systèmes/I&M Team, Images & Models/umr (centre national de recherche scientifique) CNRS 7296. Série YEMAYA # 1, 84 x 47 cm, tirage numérique sur papier fine art contrecollé sur aluminium, (2018 – 2020). Production : Said Afifi et Le Fresnoy- Studio national / Calypso36°21
Yemaya est une installation immersive en réalité virtuelle qui tente de reformuler un langage plastique et poétique avec des outils et procédés scientifiques. Yemaya déploie une mise en scène onirique à partir de certains modelés de grottes sous marines dans la mer Méditerranée, de l’archive numérique du CNRS, entièrement réalisés avec la technologie de la photogrammétrie sous-marine, des mesures acoustiques issues d’un capteur sous-marin actif, des moyens techniques qui permettent une meilleure observation scientifique du monde sous-marin, le tout avec un rendu visuel en haute résolution tridimensionnelle. L’œuvre propose une déambulation méditative et poétique, où chaque détail se modélise comme une vibration musicale. Avec Yemaya, Saïd Afifi nous invite à interroger la question de l’image, les formes de représentation et leurs avènements esthétiques et technologiques.
Blackmed, Invernomuto (2018-2020)

Black Med est une plateforme permanente initiée par Invernomuto en 2018 pour Manifesta 12, Palerme. La mer Méditerranée, autrefois comprise comme une entité fluide favorisant la formation de réseaux et les échanges, est aujourd’hui le scénario d’une crise humanitaire et d’un conflit géopolitique intense. Black Med vise à intercepter les trajectoires sonores qui traversent cette zone protéiforme, car les routes migratoires laissent des traces sonores qui, selon les mots de Iain Chambers, « résistent à la représentation et proposent une économie affective [qui est] intrinsèquement diasporique ». À l’occasion de Out.of.the.blue.map, Invernomuto présente la simulation Black Med, une piste stéréo d’environ une heure composée d’une sélection de fichiers audio provenant des archives de Black Med. Le prochain résultat du projet (qui devrait être publié en 2021) est un algorithme qui est capable de « jouer » par lui-même tous les contenus musicaux collectés jusqu’à présent ; les fichiers audio sont traités, étiquetés et développés afin de devenir des instructions pour l’algorithme. Les utilisateurs pourront également télécharger de nouveaux sons dans le système : l’objectif est d’avoir une archive croissante, un magma Black Med, qui évolue constamment.
La simulation de Black Med est un test, un des nombreux fragments possibles de la sortie de cette machine pas encore prête.
De la dérive, Calypso36°21 (2020)


Lexique collectif des territoires liminaux en Méditerranée.
Dans le cadre d’Out.of.the.blue.map, Calypso36d21 développe De la dérive, un lexique collectif explorant, à la manière d’un atlas, les territoires liquides et solides méditerranéens. Traduit en arabe, en français et en anglais, le lexique constitue un objet éditorial évolutif. Publié à plusieurs reprises durant le programme, De la dérive rassemble de nombreuses contributions d’artistes, d’activistes, de chercheuses.eurs, d’architectes, de membres d’équipages et d’extraits de juridictions maritimes et terrestres. D’un rivage à l’autre, De la dérive rassemble des fragments visuels et textuels et compose un récit plurivoque.